mort des mots

Publié le par Lita.s

                                                                                                             psymage.lita.s


Avant, on expirait… bigre ! Le mot faisait froid dans le dos et l’on pouvait voir se profiler l’ombre de la faucheuse ricanante, sur le point d’enrouler le dernier souffle de l’agonisant autour de son cou.

Aujourd’hui, on ne périt plus non plus. Ca, c’était au temps où, la fleur au fusil, en bon patriote, les hommes allaient se faire percer le lard dans une tranchée, en denrées périssables pour la Nation.

Ah, agoniser, voilà un mot qui vous pose un mort. Ca sent celui qui n’en finit pas de partir, dont la douleur fait mal à voir, mais qui a tant différé sa sortie que la famille est soulagée de le voir enfin mort. On imagine le grand lit sombre, tel un catafalque, les cierges déjà prêts, le prêtre à genoux, la main décharnée du patriarche ou de la douairière qui s’élève une dernière fois pour bénir ou pour maudire sa descendance avant de s’abattre, déjà froide sur le drap rêche. Les proches, eux, retiennent leur souffle, de crainte de le voir aspiré lui aussi ; certains peuples enterraient bien les femmes et les domestiques du défunt, pour qu’ils lui tiennent compagnie… Ils lui devaient bien ça ! Et puis, on se recueille en silence, on éloigne les enfants auxquels tant de lourdeur donne envie de rigoler tandis que l’ancêtre se meurt… Rien à voir avec un suicide où pourtant il est bien question de « se mourir ». Dans d’autres contrés, les femmes explosent de douleur, s’arrachent les cheveux quand enfin, l’agonie a pris fin.

Agoniser, c’est pour les grands, les gens à particules car, chez les humbles, le vieux est passé cette nuit.

Quant à trépasser, c'est déjà si vieux que cette mort sent la naphtaline et le plastron. Cette mort-là n'est plus, enterrée avec les auteurs qui l'ont mise en romans et poèmes. Car même les mots meurent et perdent leur âme.

Rendre l'âme suppose qu’elle n’était pas à nous, qu’on nous l’avait prêtée. Entre un corps qui, poussière, retourne à la poussière, et une âme d’emprunt, nous sommes bien peu de chose. Dieu ne fait pas de cadeau. « Toute âme surprise à errer sera immédiatement reconduite à la frontière du purgatoire pour y être interrogée. », soumise à la question, en somme. Pauvres fantômes ! Comme si avoir disparu ne suffisait pas.

Disparaître, l'euphémisme paraît suspect pour parler de celui qui nourrit les asticots ou qui est parti, mi fumée, mi fumûre dans les flammes purificatrices. Le cher disparu ne risque-t-il pas de réapparaître ? Personne ne va se mettre en quête de lui, le rechercher ? Il y a de la magie, du David Copperfield derrière cette disparition. Mais on se doute que cette absence sera bien présente à l'esprit de ceux qui sont encore.

N'être plus, curieux paradoxe, pas si loin du "être ou ne pas être" shakespearien. Il n'est plus, ne hait plus non plus... Tout né est voué à n'être plus, rayé de la liste. Naître puis ne plus être.

Il nous a quittés, hélas ! Oh oui, on le regrette. Plus qu'en cas de divorce, bien sûr, mais ce mort-là a peut-être bien fait. Nous quitter était peut-être la seule issue... Au suivant !

J'oubliais partir, ce mot pudique qui laisse entendre un possible retour. C'est ainsi que l'on dit pour ne pas dire la mort. "Il est parti ! " Oui mais quand reviendra-t-il ? Et s'il est parti, c'est qu'il l'a bien voulu ? Du genre achat d'allumettes qui dure, dure...

Aller au ciel
, ne pas repasser par la case départ... (mieux vaudrait aller au diable). C'est ce qu'on dit aux petits nenfants, nuages, ailes et auréoles en prime. De quoi leur fiche la trouille de voir tout ces "disparus" qui se bousculent là-haut dégringoler de leurs cumulus et leur tomber sur la tête.... Et je ne vous dis pas ce qu'ils peuvent imaginer quand il pleut !

Dans la série « Un prêté pour un rendu », rendre le dernier soupir, c’est pour les mécréants, les sans âme, ceux qui respirent le bon air du Bon Dieu sans lui dire merci. Ils ne peuvent rien lui rendre, à lui. Ils ne peuvent rendre qu’aux mères qui, à l’autre bout du cordon, leur rappellent qu’ils ont commencé par être anaérobies. Sinon, à qui d’autre rendraient-ils cet ultime soupir ? A moins qu’ils n’aient passé leur vie à soupirer et que, lassés, ils aient décidé de passer l’arme à gauche.

Rien de militaire dans ce « passer l’arme à gauche », juste une question d’escaliers qui tournaient dans le mauvais sens pour les gauchers, ceux auxquels on avait coupé la main droite et qui n’étaient pas loin de mourir, faute de pouvoir dégainer leur épée de la main gauche et se défendre dans les escaliers du château. Alors, ils y restaient, dans l’escalier.

Succomber fleure le biblique. La tentation n’est pas loin ; l’enfer non plus. Le mot suggère une lutte dont le vainqueur serait la Mort, par l’un de ses vecteurs : typhus, pneumonie, syphilis, fièvre asiatique ou aviaire (c’est pareil), sida… un truc qui vous saisit de l’intérieur, incube sournoisement, plante ses ergots dans votre chair et ne vous lâche plus. Alors, on tombe, on succombe, devient succube.

Il y en a qui crèvent, gorgés de fric, de pus, d’alcool ou de haine. Bien avant de crever, ils sont déjà charognes. Cette mort-là sent mauvais. C’est celle du méchant dans le film ; il crève la gueule ouverte pour dire qu’il n’est pas d’accord, qu’il ne veut pas crever « comme ça ». On se dit que c’est bien fait pour lui, qu’il l’a bien méritée. Pour un peu, on cracherait sur son cadavre, on le bourrerait de coups de pied, en toute impunité.
Les gentils crèvent, eux aussi, les yeux agrandis pas l’effroi. Tout le monde ne peut pas avoir un Karma sympa.

Casser sa pipe parle des Maigret et autre Sherlock. Une mort nette, sans bavure, mais qui laisse moult indices dont Colombo pourra parler à sa femme. C'est la mort de l'oncle, du parrain, du presque proche... On sait déjà qu'on s'en remettra.

Claquer tout  sec, comme le coup de fouet qui lacère et courbe les dos des vivants. Claboter, bouteille en main, de ne pas avoir su mener sa barque.
Et, bucolique, on mange les pissenlits par la racine....

Tant de mots ou d’expressions pour un même destin. Les mots déclinent, se perdent et la mort devient froide. Alors on décède, on cède la place, au mieux, on clamse en refermant sa vie comme un vulgaire bivalve.
Je crains que ce ne soit pas à mourir de rire.

                                                                          F I N
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L
<br /> Tu n'as pas oublié "partir" en revanche je n'ai pas trouvé "s'éteindre"...<br /> S'éteindre dans une mare de cire comme une chandelle à l'autre bout de son chanvre quand la flamme devient fumée, remord dansant, soir...<br /> <br /> <br />
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A
Je n'en meure pas forcément de rire, mais je dois bien avouer que j'ai plusieurs fois souri(t?), et même ri(t?) à certains moments. <br /> Très agréable à lire comme texte. Très bien écrit. <br /> Bravo!
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L
Tout simplement, il me semble que je pars en déconfiture après cette lecture...<br /> Non, vraiment, j'adore ^^ <br /> Je vais d'ailleurs me le relire une seconde fois, histoire de se mettre bien dans le pot.<br /> encore bravo, je viens de découvrir...le trésor des Carpates! Tadadadam...
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J
joli blog que je découvre là ..Les mots me manquent pour vous décrire ce que je ressent à travers ces lignes.<br /> Bien amicalement
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L
mince, il me semblait l'avoir rajouté (juste après disparaître) car en effet, je me suis aperçue que je l'avais oublié. un acte manqué, s'il en est... ça a du sens, bien sûr.
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