vol vertical (fin)

Publié le par Lita.s


 

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Troisième et dernière partie de Vol vertical que vous retrouverez dans mon recueil CROQUE MI-TEINTES, paru en avril 2010 aux éditions Glyphe.

 

.../...

Ils sont assis devant moi. Je suis transparent, c’est sûr. Tout à l’heure, j’ai fait exprès de venir tout près d’eux ; ils ont continué comme si je n’étais pas là. Je ne savais pas que je pouvais être transparent. Ce sera pratique pour aller piquer du chocolat dans le placard. Faudra juste que je fasse gaffe à ne pas faire claquer la porte. J’aime bien ça le chocolat, mais maman, elle veut pas que j’en mange. C’est pas juste.

Ils on bu toutes les bières que Milàn a apportées et y’a plein de bouteilles vides sur la table. Maman est assise sur les genoux de Milàn, sa jupe toute tire-bouchonnée en haut de ses cuisses. On dirait que la main de Milàn est coincée dans sa culotte; elle a l’air de bien aimer ça. Elle gigote et pousse des petits cris. Ça m’énerve et en même temps, j’ai envie de regarder. Moi, quand je mets ma main dans ma culotte, elle se fâche et dit qu’elle va me le couper, le truc que j’ai là si je continue, que j’ai des vis ou un clou, je ne sais plus.

Il parle dans sa moustache et je ne comprends pas ce qu’il dit. On dirait qu'il a des cailloux dans la bouche. C’est tout mélangé, mais je comprends :

- Ah, Jésus ! Jésus !... es bonne… Mmmmm !... 

Elle n’a plus sa jupe, ni sa culotte. On voit ses nénés. Tout en haut de ses jambes, ses poils, on dirait une barbe, mais bien plus petite que celle du monsieur qui marche sur l’eau. C’est peut-être pour ça qu’il l’appelle Jésus, Milan ?

J’ai plus envie de regarder.

Je me sens tout bizarre. J’ai envie de pleurer… alors je monte là-haut dans mon ciel. J’essaie de rêver, j’essaie de lire, j'essaie de planer, mais je n’y arrive pas. Dans ma tête, c’est tout vide.

Je ne comprends pas bien le truc de maman et Jésus. Si ça se trouve, elle sait voler elle aussi.

 

 

Ils ont recommencé. Maintenant, ils le font tout le temps, parfois dans la chambre de maman, mais le plus souvent ici, dans la cuisine. D’abord ils boivent et puis ils commencent à avoir un coït. Ce mot-là, je l’ai trouvé l’autre jour dans un gros livre : « La médecine familiale ». C’est ça qu’ils font, un coït. Je l’aime pas ce mot. Il me fait mal comme si on me coinçait quelque chose avec une porte. Il me donne envie de crier.

Je déteste Milàn. C’est un gros con baveux qui pue. Et puis il a le cul tout poilu. J’ai envie de lui cracher à la figure, de lui arracher les yeux, lui écrabouiller les doigts, lui passer son gros zizi à la moulinette…

 

 

C’est bête, j’avais tout faux, je ne suis pas transparent du tout. En tous cas, pas tout le temps parce que cette fois, Milàn m’a vu. Maman, depuis quelques temps, elle ne me voit plus alors ... Même le linge, elle s’en tape depuis qu’elle boit comme ça et qu’elle fait des coïts avec lui. Je crois bien qu’ils sont devenus dingos. J’ai lu quelque part qu’il ne faut pas faire de mauvais mélanges. Peut-être qu’il ne faut pas boire beaucoup de bières et faire cette chose qu'ils font en même temps.

Je passe tout près d’eux pour aller vers le placard aux chocolats. C’est là qu’il lève la tête. Ses yeux sont mauvais, avec du rouge dedans. La sueur dégouline depuis son front jusqu’à son ventre tout frisé. On dirait des rivières qui coulent vers les poils épais tout en bas, là où il est collé à maman. Je vois pas sa main partir. En fait, je vois rien du tout. Quand il frappe, c’est pas comme maman ! Je tombe et je roule vers la porte d’entrée grande ouverte. J’ai juste le temps de voir, sur le gravier, une touffe d’herbe que Milàn a dû louper. Et puis ma tête cogne contre le mur.

 

Quand je me réveille, il est parti et maman pleure.

Il s’est barré trois jours. J’ai cru qu'on allait être comme avant, quand on était juste tous les deux, maman et moi. Ça m’a manqué un peu, les jeux dehors avec lui, mais je me suis dit « Il s’est barré, bon débarras ! ». Mais c'est pas redevenu comme avant. Avec maman, on ne parle pas de lui. On ne parle pas du tout. Elle a recommencé à s’occuper un peu des trucs qu’elle a à faire, et moi je reste presque tout le temps dans mon ciel. Parfois, je descends et c’est bizarre parce qu’à chaque fois, j’ai l’impression qu’elle devient un peu plus petite, comme si on lui retirait des bouts de sa colonne. Le soir, je la trouve assise en tas par terre. Elle s’est endormie comme ça, une jolie bouteille qu’elle a dû trouver dans la grande maison à la main. Une mèche de ses cheveux est collée sur le bord de ses lèvres. Je me couche tout contre elle et je m’endors.

Depuis deux jours, elle ressemble à un fantôme. Je me demande si à force de ne pas être là, elle ne va pas disparaître. Je lui prends la main pour être sûr. Ses yeux ! Heureusement que c’est pas des mitraillettes. Je ne la touche plus. J’ai un peu peur qu’elle m’empêche de prendre à manger dans le frigo, mais elle ne dit rien. Le frigo, y’a pas grand-chose dedans. Heureusement, il y a les fruits du potager. C'est moins bon que le saucisson mais tant pis.

 

Ce matin, il est revenu avec des provisions. Un gros sac tout gonflé. Je n’aime pas les carottes et les artichauts mais je suis quand même un peu content. Il doit se sentir péteux parce qu’il m’a apporté un déguisement avec une belle cape noire.

- Faut envoyer enfant l’école. Pas rester toujours ici.

- J’t’ai déjà dit que c’est pas possible. Je fais comment moi pour l’amener, hein ? A vélo, avec ton tracteur ?... Oh et puis arrête de me prendre la tête avec ça.

- Obligé ici l’école !

- Obligé, mon cul ! C’est toi qui me dis ça ? J’parie que t’as même pas de papiers, alors tu te mêles de tes plates-bandes. De toutes façons, c’est comme s’il existait pas ce gosse.

-  ??...

- Fous-moi la paix ! Oh et puis toi, file là-haut… toujours à espionner !

Comme que je traîne dans l’escalier, j’entends qu’ils sortent des bouteilles, pour montrer qu’ils sont toujours copains sans doute.

 

 

Pendant quelque temps où on a été un peu tranquilles et j'ai bien grandi. Maintenant, les shorts que maman me rapporte sont plus petits sur moi. Je suis devenu costaud, alors maman me laisse faire plus de trucs avec Milàn. On dirait que c'est comme au début quand il est arrivé chez nous, mais c'est pas pareil. Quand ils sont ensemble, ils sont calmes... Sauf quand ils sont trop bourrés. Là, ils recommencent à faire des coïts devant moi, et à dire des cochonneries. Alors je monte vite, vite me cacher dans mon ciel, en essayant de faire taire la grosse voix en colère dans ma tête.

 

 

 

 

Je crois que c’est à cause de moi s’ils se sont bagarrés. Ils ont crié, crié ! Tellement que je me suis réveillé. Il fait tout noir mais j’ai moins peur du noir que du bruit qu’ils font. Je descends en faisant gaffe à ne pas faire craquer les marches. Ils disent des sales mots tout tordus… Je ne comprends rien. Sûr qu’ils ont bu beaucoup de bières et même d’autres trucs que maman trouve maintenant de l’autre côté. Quand j’arrive dans la cuisine, il la tient par les cheveux et elle hurle :

Salaud ! Enfoiré de métèque !

En même temps, elle essaie de lui griffer la figure. La planche du repassage est par terre et tout le linge est renversé. Je me mets à hurler moi aussi :

- Maman !

J’essaie d’attraper les jambes de Milàn. Je veux le mordre, planter mes dents dans sa viande et lui en arracher un morceau, pareil que les corbeaux sur les lapins morts. Quand ils font leur gueuleton, ça fait un de ces raffut ! Je me jette sur lui, mais... tu parles ! J’arrive juste à déchirer un bout de son short. Et il me repousse avec son pied. Par chance, je tombe sur le tas de linge, la tête la première. J’ai envie de rester dans ce tout doux qui sent bon sous mon nez. Ne plus les voir, ne plus les entendre. Mais il y a ce type qui est en train de taper maman. Je me redresse tandis qu’elle crie:

- Salaud, espèce de connard !

- Saaalope toi, m’parle pas salope !

Ses yeux sortent de sa tête, il bave. Il tient toujours maman par ses cheveux où la barrette pendouille. Et puis il la frappe à la figure. Très fort, pareil que les boxeurs. Elle tombe comme un gros sac contre le mur. Et elle bouge plus. Il sort en courant dans le parc.

-   Mam… !

Je pleure en rampant vers elle. Je pleure, couché sur elle. Elle ne bouge plus. Je crois bien qu’elle est morte.

 

 

Le soir est venu. En vrai, elle n’est pas morte mais on dirait qu’elle n’est pas bien réveillée. Elle a vomi ; heureusement que je sais comment on fait pour nettoyer. Sa figure est toute déformée. Il y a de drôles de couleurs qui s’étalent un peu partout sur sa peau. Comme elle a froid, je l’aide à marcher jusqu’à son lit et je la couvre avec sa grosse couverture.

-   S’il revient, ce connard… je le bute… je… le… bute ! 

Et puis elle s’endort.

Elle est jolie quand elle dort. Même avec sa figure cabossée elle est jolie, ma maman. Je reste à la regarder un petit moment. En même temps, je réfléchis. C’est la voix en colère qui me dit ce que je dois faire.

 

 

C’est la première fois que je vais si loin. Il fait à peine jour. J’ai un peu peur, je ne sais même pas de quoi. En plus des bruits bizarres du dehors, ça pleure dans ma tête. Je me retourne tout le temps pour surveiller autour. Heureusement que j’ai ce qu’il faut pour me défendre. C’est loin ; quand j’arrive près de la porte, je suis un peu fatigué. Je n’ai jamais marché aussi longtemps. Je m’appuie à un arbre au bord du chemin, un chêne, je crois. Contre mon dos, je sens la peau du chêne. Je lève la tête et je vois les feuilles un peu jaunes, un peu rouges qui dansent avec les taches de soleil. J’entends les oiseaux, des petits « scritch scritch ». Je ne savais pas que c’était comme ça, la forêt. C’est tellement beau que j’ai envie de rester là pour toujours. Mais voilà, j’ai un truc à faire.

 

Il y a un de ces bazars ici. J’avance en faisant très attention de ne pas marcher sur les bouteilles qui traînent. Dans un coin, il y a des outils et dans l’autre, le lit où Milàn roupille, couché sur le dos. J’ai un peu peur qu’il se réveille tout d’un coup et me donne une grande claque. Mais il a dû boire beaucoup et il ne m’entend pas approcher. La batte de base ball que j’ai traînée sur tout le chemin fait une trace dans la poussière du sol. Maintenant, je sais la tenir bien serrée avec mes deux mains et la lever au-dessus de ma tête. Arrivé devant le lit, je respire un grand coup, je la lève une première fois et de toutes mes forces, je frappe un grand coup sur sa tête. Et puis très vite, je la relève pour frapper encore. Et encore une fois… J’aimerais bien le frapper encore mais c’est lourd.

Il se met à bouger. J’ai frappé en plein milieu de son front et sur ses yeux mais ce con n’est pas mort. Il y a du sang sur sa figure, ça dégouline mais il n’est pas mort. Il n’a pas l’air de comprendre ce qui lui arrive et dans l’ombre de la cabane, je suis invisible. Il se redresse au bord de son lit. Il se met à marcher en se touchant la tête et en disant des trucs que je ne comprends pas. J’ai peur, j’en pisse dans mon pantalon. Vite, j’attrape la fourche et je me mets face à lui… Il trébuche sur une bouteille et vient s’embrocher dessus.

Là, il ne bouge plus. J’ai tout juste la force de lever encore une fois la batte de base ball…

 

 

-  Non, je n’ai pas faim ! Laisse-moi.

- Maman, si tu manges pas, tu vas pas pouvoir pédaler…

- Tu crois que j’vais aller chercher leur putain de linge ? M’en fous de tout ça, j’m’en fous tu entends ?! Fous-moi la paix.

Elle ne mange presque pas, elle boit dans les bouteilles de la « Richamillions » parce qu’il n’y a plus de bières. Et elle dort. Au début, elle n’a rien dit. Et puis elle s’est mise à râler :

-   Ce connard de merde, il peut toujours essayer de revenir, je lui foutrait mon pied au cul ! 

Après, elle se met à pleurer et à renifler :

-   Dis, il va revenir, hein ? Il va pas me laisser tomber, hein qu’il va pas faire ça ? ».

Les histoires des grands, j’y comprends rien… Je ne lui dis pas qu’il ne reviendra pas, qu’il a la tête à moitié explosée, qu’il baigne dans une mer de sang avec une fourche plantée dans son bide tout frisé.

Comme elle ne fait presque plus rien, je m’occupe de notre chez nous. Le linge, je me couche dedans, je m’enroule dans les beaux draps, je me balade dans le jardin en faisant le Prince devant les salades. Je peux faire ce que je veux, je suis le roi.

Tout là-bas, loin dans la forêt, bien après la cabane aux outils, les corbeaux continuent à faire leur cirque au-dessus des arbres. Avec la cape noire que ce sale type m’avait offerte pour faire le gentil, je fais comme eux « Croa croa, croa-te… croa croa, croa-te… ». Bientôt, les corbeaux n’auront plus rien à bouffer et ils arrêteront, mais moi je pourrai continuer à sauter d’un pied sur l’autre en faisant voler ma cape noire et en chantant « Croa croa, croa… te ».

J’ai écouté ce que m’a dit la grosse voix. Elle a de bonnes idées parfois. Le matin, juste après le coup de la batte de base-ball, j’ai réussi à mettre en route le tracteur. Tout seul. Pour aller jusqu’à la cabane, c’était plus rapide et j’ai adoré ça. Quand j’ai démarré, maman est sortie en courant. Elle croyait que c’était lui. Elle voulait que je descende mais maintenant, elle ne peut plus rien m’interdire. Je lui ai dit que j’allais pouvoir faire du travail moi aussi. Elle a haussé les épaules et elle est retournée se coucher.

Dans la cabane, il était toujours bien mort, avec la fourche dans son ventre. Le sang était tout collé et ça ne sentait pas bon. C’était pas facile pour arracher la fourche. Mon pied glissait tout le temps sur le sang qui poissait son ventre. Après, j’ai attaché ses pieds bien serrés avec une des grosses cordes qu’il avait fabriquées et j’ai fixé la corde au tracteur. Pour passer la porte, sa tête est restée coincée ; j’ai beaucoup transpiré pour décoincer tout ça. La suite, c’était facile : le traîner derrière le tracteur jusqu’à un petit espace un peu dégagé où il y a un gros arbre avec une branche assez haute et bien solide. Je suis vraiment balèze parce que j’ai réussi à lancer la corde par-dessus la branche au troisième coup seulement. Ça, il faut quand même dire que c’est grâce à lui et à l’entraînement au lancer de balle. Après, j’ai pu l’accrocher à la branche en reculant avec le tracteur. J’ai attaché la corde solidement autour du tronc d’arbre et j’ai regardé mon travail. Vraiment, c’était bien ! J’ai attendu un moment mais pas trop longtemps parce que j’avais peur que maman me cherche… et puis j'avais un petit peu peur aussi qu’un loup ou une vilaine bête vienne, attirée par l’odeur du sang. J’ai vu ça dans un livre. Je pensais que la grosse voix allait me féliciter mais je n’ai rien entendu. Sur le chemin du retour, mon tracteur s’était transformé en locomotive et les arbres me regardaient passer. Je crois que c’est ça, être heureux.

 

 

Maman ne sait pas voler. Encore une fois, j’avais tout faux. La voix de la vieille dame me l’avait dit mais je ne voulais pas l’écouter. Ça fait un moment que je n’entends plus pleurer le bébé. Peut-être qu’il est parti. Maintenant, je sais leur dire de me fiche la paix, même à la grosse voix. Avec une tête plus légère, je suis presque sûr d’y arriver, au décollage vertical, comme le Jésus. Maman, elle ne sait pas faire Jésus ; j’ai bien vu ses poils et je sais que c’est pas une barbe.

Elle ne supporte pas qu’il ne revienne pas, son copain de coït et de bières. Quand elle prend le vélo, c’est pour aller chercher des sous à « l’assez dit que » qui ne lui en donne jamais assez, qu’elle dit, pour rapporter un peu de linge et surtout des bières, du chocolat et du pâté. Heureusement, je dégotte des trucs à manger dans le potager. Je me suis mis à l’aimer moins, à la trouver moins jolie. C’est un peu pareil que si elle n’était plus tout à fait ma maman.

 

C’était sûr qu’elle ne savait pas voler. Je suis trop con. Ou alors j’avais tellement envie qu’elle sache ! Je suis pas sûr que j’aurais dû faire ça. Mais j’avais pas le choix. C’est elle qui a commencé.

- Putain, fais chier ! Où t’es barré encore ?... toujours vautré à rien foutre. T’es bien un mec tiens !... »

Je l’entends monter les marches. On dirait un éléphant. Elle a dû boire plein de bières et maintenant, elle est en mode colère. Jamais elle vient jusqu’à mon ciel. Ça ne me plaît pas beaucoup, c’est comme si elle entrait de force dans ma tête ou pire, dans mon ventre.

-   Bah dis donc, c’est un sacré bordel ici. Ouais, t’es bien un mec ! Un meeec… J’veux un mec, un gourdin…

Elle se met à pleurer, allongée sur mon lit, sa jupe toute relevée. J’aime pas qu’elle soit là. J’aime pas qu’elle mette pas de culotte, j’aime pas voir ses poils. J’ai envie de lui dire de partir mais je n’ose pas.

- Un mec, tu entends… j’suis sûre que c’est à cause de toi qu’il revient pas. Ma vie, c’est de la merde depuis que t’es là ! je suis seule, seule !

- Mais… je suis là moi !

- Toi ? Non mais tu t’es vu ? C’est un mec que je veux… Un mec, un vrai.

- T’as dis que j’en suis un… Et puis regarde, la preuve que je suis un mec.

- Ça ! Ton mini ver de terre ? Ah ah ah ! Même quand il est raide, c’est rien qu’un ver de terre de merde !...

Et elle rit, elle rit... J’en peux plus de l’entendre rire comme ça, avec sa bouche grande ouverte où je vois le fond de sa gorge. Dans ma tête, la grosse voix n’en peut plus non plus, le bébé pleure et même la vieille dame est énervée. Elle n’a pas le droit de rire de moi comme ça.

 

 

J’ai pas le temps de penser à ce que je vais faire. Je me retrouve assis sur elle, mon gros oreiller entre les mains, en train d’appuyer sur sa tête. Il faut qu’elle arrête de rire comme ça. Elle essaie de continuer à rigoler mais l’oreiller, ça lui coupe le souffle. Et puis elle se met à s’agiter, à vouloir me faire tomber, à m’agripper pour que j’enlève l’oreiller. Je suis fort maintenant, un vrai mec ! Je réussis à ne pas tomber. Enfin, elle arrête de bouger. Je reste assis sur elle encore un petit moment, pour être sûr qu’elle ne va pas se remettre à rire.

 

C’est tout calme maintenant. Maman a une drôle de tête avec sa bouche et ses yeux tout ouverts. Je lui ferme tout ça et elle redevient un peu jolie. Sauf sa jupe trop courte qui montre sa touffe et son T-shirt plein de taches. Je lui choisis une belle robe blanche dans le tas de vêtements qu’il y a ici. C’est difficile de lui enlever ses moches habits et de la rhabiller. Maintenant, elle a l’air d’une mariée. J’aurais bien aimé me marier avec elle mais c’est plus possible je crois. Sauf peut-être si comme le Jésus, elle peut revivre, mais c’est des conneries tout ça. Oui, elle est morte… De trop rire.

 

Je ne pensais pas qu’elle était si lourde. Sûrement pas aussi lourde que le type mais là, je n’ai pas de tracteur pour m’aider. J’ai réussi à l’asseoir sur le bord de la fenêtre ; ses pieds nus pendent dans le vide. Je la tiens bien fort par la taille, comme si j’étais son amoureux. Son cou ne sent pas très bon depuis qu’elle ne se lave plus mais quand même… Je lui fais un bisou juste au-dessous de l’oreille et je lui murmure :

- Je t’aime, maman ! 

Et puis j’ouvre les bras.

 

C’est pas qu’elle ne plane pas du tout … mais ça ne dure pas longtemps. Vraiment pas longtemps. Maintenant, elle est là, en bas, dans les graviers, sa robe blanche étalée autour d’elle. Le rouge fait des dessins qui s’élargissent par endroits. C’est joli. Avec ses bras et ses jambes dans tous les sens, on dirait une poupée cassée.

Non, maman ne sait pas voler. Mais moi…

Debout sur le bord de la fenêtre, je sens la peinture écaillée sous mes pattes. Dans ma tête, toutes les voix se sont tues. Je suis bien. Sous mes plumes étincelantes que le vent ébouriffe, je sens la caresse du duvet.

Je respire un grand coup. Il suffit d’une poussée sur mes pattes. Je vais ouvrir mes ailes et m’élever vers le ciel.

Enfin !

 

 

F I N

 

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M
Un grand texte !<br /> Merci pour ce grand moment de lecture !!!<br /> A te revoir dans cette forme là !
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D
Très vite, les mots nous piègent et nous sommes avec l'enfant, dans l'enfant, en train de penser comme elle, de ressentir comme elle. C'est beau, c'est évident, c'est tragiquement simple...
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L
Elle est terrible du début à la fin cette histoire.....<br /> Mais c'est tellement bien vu depuis la tête de l'enfant qu'on se laisse prendre au récit,toujours entre le noir et le rêve
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T
Terrifiant et magnifique à la fois, un coup de maitre mon amie.<br /> J'ai beaucoup aimé<br /> Thierry
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V
une histoire pleine de rebondissements...<br /> Tes mots, on ne les lit pas, on s'envole avec, on dévore les lignes, on vit à travers elles.<br /> Je suis touchée par ta bonté.
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