Vol vertical (1ère partie)

Publié le par Lita.s

 

 

 
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Vol vertical

 

 

Le plus difficile, c’est de m’élever à la verticale. J’ai beau me concentrer, fermer les yeux, je n’y arrive pas. Planer, c’est facile ; si ma tête n’est pas trop lourde, je le fais quand je veux. Depuis toujours, je sais le faire. Un jour, je l’ai dit à Maman et elle a répondu en faisant une petite bouche de poupée :  « C’est trop mignon ! ». Elle a souri, ça m’a bien plu. Le plus souvent, elle a l’air fâché ou trop occupé. Comme j’ai vu que ça lui faisait plaisir que je sache voler, je le lui ai redit. Je me souviens, c’était un jour où il faisait froid mais il y avait un soleil jaune au-dessus du grand cèdre. Elle était en train de repasser dans la cuisine. Le fer crachait des petits nuages sur les chemises et sur les nappes. Derrière elle, ça faisait une montagne de tissus froissés. J’ai pensé que ce serait amusant de m’y promener, de me glisser de crêtes en pliures, des broderies aux dentelles. J’avais bien envie d’y aller mais j’ai renoncé… trop fatigant. J’ai continué à la regarder. On aurait dit un ange à travers un brouillard blanc. Ça sentait drôlement bon. Alors qu'elle se redressait en mettant ses mains sur ses hanches, j’ai marché vers elle et je lui ai dit :

- Tu veux que je te raconte comment je fais pour voler ? 

Elle a baissé les yeux vers moi ; c’était comme si elle ne m’avait jamais vu et elle a dit :

-  C’est quoi encore ces bêtises ? 

Je n’avais plus très envie de parler de ça, alors j’ai dit :

-  Je crois que les chemises crient pour que tu t’occupes d’elles.

Elle s’est approchée de moi, l’air mauvais. J’ai fermé les yeux. Le choc m’a fait tomber par terre. Je me suis mis en hérisson pour ne pas trop sentir les coups de pied.

J’aime bien les hérissons ; maintenant que j’ai le droit de me promener dans le jardin, je m’amuse à les trouver. Quand ils se mettent en boule et remuent leurs épines, je les prends à l’aide de deux bâtons, et je les jette très fort sur les citrouilles. C’est trop drôle de les voir se tortiller pour essayer de se décrocher. Maman, elle ne le sait pas…

Elle criait très fort quand je lui ai dit pour le vol :

-  Mais j’en ai marre de ces conneries, tu entends ? marre, marre, marre ! » A chaque « marre », elle lançait son pied. Avec ses pantoufles ça ne faisait pas vraiment mal. Et puis elle s’est mise à pleurer, assise sur le tas de linge.

J’aime pas quand elle pleure ; ça fait mal, bien plus que les gifles et les coups de pied. A quatre pattes, je l’ai rejointe, et je lui ai dit :

- Pardon, Maman. Je le ferai plus… Pleure pas s’il te plaît… 

Elle s’est mouchée dans la nappe brodée, celle qui est « galère à repasser », et puis elle m’a pris la main. On est restés comme ça un petit moment, sans rien dire. Après, elle s’est levée et a repris le fer. J’ai regagné les premières marches de l’escalier, et j’ai recommencé à la regarder.

Elle est jolie, ma maman. Elle remonte toujours ses cheveux au dessus de sa tête pour que ça ne la gêne pas. Des mèches s’échappent autour de son cou, ça fait comme une couronne à l’envers. Une couronne dorée.

Mes cheveux à moi ne sont pas dorés. « Noirs comme la peur », c’est ce qu’elle dit. C’est à cause du jour où elle a vu ma tête pour la première fois. Je devais arriver en automne mais je crois que j’en pouvais plus d’être là-dedans et j’ai voulu sortir en été. Elle dit qu’elle s’en souviendra toute sa vie… Moi aussi, je me souviens ; enfin, pas du tout début, mais juste après.

 

Elle a eu très mal au dos, et puis au ventre… tellement que Mamère l’a amenée à l’hôpital. Là on leur a dit que le bébé de maman allait sortir. Il paraît qu’elles ont fait une drôle de tête toutes les deux. Surtout Mamère qui ne savait pas qu’un bébé avait poussé dans le ventre de maman… Mamère, c’est comme ça que maman dit quand elle parle de sa maman à elle… C’est pas souvent. On a mis maman dans une pièce où elle avait froid, et on l’a laissée un moment toute seule ; faut croire que Mamère n’était pas restée. Elle s’est mise à crier pour qu’on vienne arrêter le mal, et quelqu’un est venu. Maman a poussé très fort, comme quand on veut faire caca et que ça sort pas ; moi, ça m’arrive tout le temps, mais je ne pousse pas, j’attends en regardant le mur des w.c où le papier fait plein de dessins. Là où le papier est arraché, il y a un dragon. Maintenant que j’ai grandi, je n’ai plus peur de lui alors… ça vient plus vite.

D’un coup, ce que maman avait dans le ventre est sorti, et elle a cessé d’avoir mal. On lui a montré ce qu’elle avait au-dedans. C’est là que ça s’est vraiment gâté.

Il paraît que j’avais l’air d’un rat … minuscule avec plein de poils et de cheveux noirs. « Ça m’a coupé le souffle ! », c’est ce que dit maman. « …Et pas un son qui sorte de sa bouche. Heureusement qu’on ne m’a pas proposé de prendre ça dans mes mains parce que j’aurais pas pu ». Une veine ! Je suis sûr qu’elle m’aurait laissé tomber. Comme je ne pesais vraiment pas lourd, à peine plus qu’un livre, et que j’avais froid, il a fallu me réchauffer dans une cage en verre et me mettre plein de petits tuyaux. C’est à partir de là que je me souviens un peu.

 

Au début, c’était plutôt tranquille. Pareil qu’après une grande bataille, quand les guerriers ont mal partout et n’ont plus la force de parler. J’ai vu ça à la télé que maman a achetée et qu’elle regarde en repassant. J’étais comme ça : pas vraiment bien, mais tranquille. Parfois, je sentais qu’on me touchait et même qu’on me faisait mal. Je ne bougeais pas. J’entendais des sons tout mélangés, des voix, des bruits bizarres. Je crois qu’autour de moi, on essayait d’être gentil, comme dans les films, quand quelqu’un va mourir. Ils ont dû croire que j’allais mourir, moi aussi.

Et puis maman est venue. Il paraît que je n’avais toujours pas fait entendre ma voix. Pas un cri. On lui a dit que mes poumons n’étaient pas tout à fait finis, et qu’il fallait qu’ils « poussent ». C’est pour ça que je n’ai pas crié ; j’allais tout de même pas gaspiller mon souffle pour lui faire plaisir ! Mais elle voulait m’entendre, que je lui montre que je la reconnaissais. Elle avait peur de me toucher, alors elle tapait sur la cage avec ses doigts. Ça faisait un bruit d’enfer. Je sursautais, mais je ne disais rien. Elle tapait plus fort et se mettait à pleurer. Et puis elle s’en allait.

-   Tu parles, à quinze ans, si c’est facile d’avoir un môme comme ça. Même les docteurs ils trouvaient pas ça normal. Dès la naissance y’a rien eu de normal. Ils m’ont dit d’arrêter de fatiguer le bébé, alors je n’y suis plus allée pendant… Oh, un bon moment .

Quand elle est revenue, elle a cru qu’on m’avait échangé. Je n’étais plus dans la cage. J’avais perdu mes poils et mes cheveux, j’avais grossi et grandi, assez pour ressembler à un vrai bébé. On lui a demandé si elle voulait me prendre avec elle ou me laisser pour toujours. Elle s’est tournée vers moi. Je la regardais de mes yeux noirs grand ouverts. Elle a bien voulu me prendre.

J’aurais peut-être pas dû la regarder. C’est ce que disait Mamère.

Après on est allés vivre chez Mamère. Elle me gardait pendant que Maman était je sais pas où. J’aimais bien quand Mamère me prenait tout contre elle et me berçait longtemps, longtemps… jusqu’à ce que je ferme les yeux. Des fois, elle sentait bon l’anis, surtout quand elle avait bu du pastaga. Elle s’en fichait que je ne pleure jamais ; elle disait que c’était plutôt une bénédiction, un enfant pareil. Maman n’était pas d’accord, elle voulait que je pleure. Mais je ne pleurais pas alors, elle me pinçait très fort. C’est ce qu’elle m’a raconté quand elle n’avait que moi avec qui parler. Moi, je ne m'en souviens pas. Des fois aussi, elle m’embrassait, me câlinait comme faisait Mamère. Mais c’était plus doux sur les gros seins et le ventre bien mou de Mamère. Et puis elles se sont disputées. Mamère voulait me garder pour elle, ou que j’aille « Aladas », un endroit où maman ne me pincerait plus. Alors maman est partie et m’a emporté avec elle. A cause de moi, elle n’a jamais revu Mamère. Je crois qu’elle regrette des fois. Des fois, j'ai bien envie de lui demander de la retrouver, pour sentir encore le tout doux du corps de sa Mamère.

Il y a un endroit où on a vécu un moment. Elle appelle ça « Le foyer des connes». Je me rappelle qu’il y a avait plein de bruit, de cris. C’était nul et dès qu’elle a pu, elle est allée ailleurs. A partir de là, je ne sais pas bien où on a été, maman ne m’a pas raconté. Je sais seulement que c'était comme si elle courait tout le temps. Maintenant, on est ici. Ça fait longtemps qu’elle ne me pince plus. Il faut dire que j’ai fini par parler ; elle a été bien contente.

Et je sais voler, mais je ne lui en parle plus.

Depuis ce jour du repassage, je ne lui raconte plus rien. Maman, elle n'aime pas trop que je lui raconte des trucs. Elle préfère les histoires de la télé. Quand elle la regarde pendant son repassage ou d'autres trucs qu'elle fait, on dirait qu'il y a un tunnel qui va depuis l'écran jusqu'à elle. Ce qui est à côté du tunnel, elle ne le voit plus. Ce qu'elle préfère, c'est les petits bouts d'histoires où y'a des gens qui s'embrassent sur la bouche. C'est beurk ! Moi, elle ne me plaît pas trop, la télé. Elle dit des choses qui font peur. Je l'ai entendue parler de « réduire le train de vie », et aussi des « trains de la mort »... Moi qui aimais bien les images et les histoires de trains, je me suis mis à avoir mal au ventre. Je criais quand maman l'allumait et je ne voulais plus manger. Maman a commencé à avoir peur que je sois très malade dans ma tête. Alors je lui ai dit que c'était à cause de la télé et des trains où on réduit la vie, pareil que les têtes des indiens. Elle m'a tout d'abord regardé comme si j'étais débile, puis elle a rigolé et elle a commencé à m'expliquer... C'était la première fois qu'elle m'expliquait la vie, la dernière aussi. Ça m'a scotché, du genre le moustique que j'ai réussi à coller sur la vitre de la fenêtre et qui bougeait plus.

- Je t'explique : l'État il réduit notre train de vie, ça veut dire qu'on aura encore moins à becqueter avec le même fric. Et les trains de la mort, je sais pas trop, mais je crois qu'il y a un endroit, Auchvit, que ça s'appelle, où on disait aux gens qu'ils allaient à la douche mais en vrai, on les brûlait...

Je ne comprenais pas tout, sauf qu'elle avait drôlement bien fait de s'enfuir vite de Auch, l'endroit du foyer des connes. On a échappé aux douches qui brûlent. Elle a continué un peu à m'expliquer la vie, mais je crois qu'elle m'a dit n'importe quoi quand elle a parlé des cigognes qui apportent les bébés. Elle me prend vraiment pour un pois chiche ! Je sais bien que j'ai poussé dans son ventre. Mais ce qu'elle avait mangé avant ?... J'en sais rien. Pourquoi elle m'a parlé autant ce jour-là... ? Je ne sais pas. Sûr que c'était un jour où elle avait pas ses règles parce que alors, pfft ! Il faut obéir encore plus, suivre les règles sans fautes sinon elle s'énerve très fort. C'est comme ça.

 

Au début, je n’aimais pas être ici. Je ne connaissais que la cuisine, la chambre de maman et le placard où elle range les balais, les produits pour laver par terre et faire briller les meubles. C’est là aussi qu’elle me rangeait quand il fallait pas que je sois dans ses pattes. C’était bien le placard… ça sentait bon, surtout la cire. Comme je savais que Maman ne pouvait pas me voir, j’ouvrais tout doucement le bocal en faisant attention de ne pas faire crier le couvercle, et puis je sentais, je sentais, jusqu’à ce que la tête me tourne. Alors je m’envolais loin, très loin vers des endroits où les autres doivent prendre un avion pour y aller. C’est comme ça que j’ai vu des éléphants. Ils m’avaient lancé de l’eau avec leur trompe, c’était rigolo. Maman, elle avait été fâchée de me retrouver avec les vêtements tout mouillés. Elle avait cru que je m’étais fait pipi dessus ; n’importe quoi ! Je ne lui ai jamais dit, pour les éléphants. Elle se serait encore fâchée. L’autre truc chouette, dans le placard, c’était que je pouvais regarder maman à travers le grillage de la porte, sans qu’elle me dise « Tu veux ma photo ? » Des photos, il n’y en a pas chez nous, alors quand je ne savais pas encore ce que ça voulait dire, je comprenais « Tu veux ma faute, oh ! » ; du coup, j’étais tout triste. L’autre truc du placard, c’est que j’étais tranquille pour écouter ce qu’il y a dans ma tête. Quand je suis avec maman, je n’entends pas très bien. Ou alors, si elle me voit avec l’air d’écouter quelqu’un d’autre qu’elle, y’a son visage qui devient tout rouge colère.

Ce que je détestais, c’était le grand trou sous la cuisine. C’est là que maman m’enfermait. Il faut dire que le placard était devenu un peu trop petit pour moi. Elle avait découvert la poignée pour soulever la trappe en faisant le ménage chez nous. Je sais pas pourquoi elle fait le ménage chez nous, personne l’oblige. Elle appelait ça le souterrain. Dès qu’elle en avait marre de moi ou que quelqu’un venait –ça, c’était presque jamais-, elle me disait « souterrain » et je filais vite fait par la trappe. Je ne savais pas ce que c’était un souterrain alors je comprenais « Sous terre hein ! » et j'avais peur. Je n’aimais pas du tout ça. C’est seulement quand elle a cessé de m’envoyer là-dessous que j’ai eu vraiment envie de voler. Si je le lui avais dit, il aurait peut-être fallu que je retourne sous terre. La première fois qu'elle m'y a envoyé, c’était il y a longtemps. J’étais en train de jouer dans un coin de la cuisine. Elle avait posé tout un tas de vaisselle sur la table, et elle frottait une espèce de grande bouteille avec un cou long comme celui d'un cygne. Plus elle frottait, et plus ça brillait. C’était beau ! Je crois qu’elle aussi, elle trouvait ça beau, mais elle ne me le disait pas. Tout à coup, elle s’est redressée, comme si elle avait mis le pied sur une punaise. C'est arrivé une fois. Qu’est ce qu’elle a hurlé ! « Fais chier à laisser traîner des punaises ! Fous-moi le camp ! ». Bien sûr, elle ne pouvait pas savoir que plantées à l’endroit, les punaises c’était des parasols pour les pucerons que je récoltais dans le jardin. Le jour du « blème », comme elle dit, j’ai vu son visage devenir tout blanc, d’un coup. Pareil que si son sang était parti ailleurs. Peut-être qu’il y a un boule de sang qui s’est formée quelque part dans son corps, mais je n’ai pas eu le temps de voir. Avec son visage tout blanc, on aurait dit Blanche Neige, sauf qu'elle n'avait pas la jolie robe jaune et bleue. Avec nous, il n'y a pas de nains, mais je sais que maman aussi elle y croit à Blanche Neige : la preuve, elle dit que je suis Simplet. Moi, je trouve ça cool d'être le nain de maman.

Le jour du blème, Elle avait failli lâcher le cou de la belle bouteille. S’il y avait eu de la casse, qu’est-ce que j’aurais pris ! Elle était devenue toute blanche parce qu’elle avait entendu crier les graviers. Moi aussi, j’avais entendu, mais des fois, je ne sais pas si c’est dans ma tête ou au-dehors. Une voiture arrivait… Alors, vite vite, elle a ouvert la trappe en me disant que si je faisais le moindre bruit, elle me battrait tellement que je serais plus aplati qu’une feuille de p.q. J'avais pas envie qu'elle me transforme en papier toilette et que je doive rester dans les w.c avec le dragon du mur. Je suis resté immobile comme si j’étais mort, mais c’était pas la peine : les gens de la voiture ne sont pas entrés chez nous. 

 

Personne ne savait que j’étais là, pas même La-Patronne-M’dame-Dejoyaux. Je ne l’ai jamais vue. Je sais seulement qu’elle est « richamillions ». Maman dit que c’est la seule qui l’a aidée quand elle ne savait pas où aller. Un jour, le docteur qui s’occupait des pauvres lui a dit qu’une dame cherchait quelqu’un pour s’occuper d’une grande maison, et qu’elle serait logée. Il paraît que tous ceux qui s’étaient présentés avaient refusé de rester à cause du sale air, des sous ou quelque chose comme ça. Maman voulait juste un endroit pour habiter et elle n’était pas paresseuse, alors ça a collé. Elle n’a dit à personne que j’existais.

« Vous n’avez pas peur d’habiter toute seule ici, cette grande demeure est si isoléeee… Vous y ferez le ménage une fois par semaine, et vous aurez la pleine jouissance des communs … » J’aimais bien quand elle imitait La-Patronne-M’dame-Dejoyaux. «…La forêt ne vous effraie paaas ? » Maman, elle trouvait ça chouette d’être toute seule là-dedans. Comme la « richamillions » ne vient plus du tout, elle n’ouvre plus les volets de la grande maison, et elle n’y fait plus le ménage. Par contre, il faut voir les tas de linge qu’elle trimbale sur le porte bagage du vieux vélo qu’elle a trouvé je sais pas où. Je me demande d’où il vient tout ce linge. Ici, il n’y a que des arbres. Peut-être qu’il y a des arbres à linge. Des fois, elle rapporte des habits pour moi, toujours des shorts trop grands avec des grandes chaussettes et des pulls qui grattent. Quand elle les met à sécher sur la corde, dehors, on dirait une famille de petits bonshommes. Moi, je joue avec eux, je suis leur chef.

Les communs, c’est là où on vit, à gauche de la grande maison. On est tout le temps dans la cuisine. A côté, c’est où maman dort : une pièce toute petite, sans fenêtre avec juste la place pour le lit. Et moi je dors avec elle quand elle n’est pas fâchée après moi. Il y a aussi là où elle prend sa douche. Elle est belle ma maman quand elle se lave. Comme elle a peur que je fasse des bêtises, elle préfère que je sois avec elle. J’aime la mousse toute blanche sur sa peau. Elle aussi elle aime se passer la mousse, je le vois à son sourire. Un jour, je lui ai demandé pourquoi elle avait plein de poils qui cachaient son zizi. C’est bien quand elle sourit parce qu’elle est plus gentille avec moi. Elle a rigolé et puis elle a dit :

- Moi j’ai un bouton du plaisir que tu ne vois pas ».

- Et moi, j’en ai un aussi, de bouton du plaisir ?

- Toi, t’as un petit ver qui te sert qu’à pisser.

Elle a continué à frotter la mousse sur son corps, comme si elle se caressait avec. Je sais pas pourquoi, je me suis senti  bizarre et mon petit ver est devenu un peu dur. Ça m’arrive des fois ; il me gêne et je ne sais pas trop quoi en faire. J’ai demandé à maman :

- Et quand il devient tout dur, mon ver, c’est comme ton bouton ?

Là, ses yeux se sont mis en mode mitraillette et elle a dit :

- Petit vicieux ! On n’a pas le droit de bander pour sa mère. Si tu continues, je vais te le couper, moi, ton ver !

Du coup, il est redevenu tout mou. On doit avoir drôlement mal quand on se fait couper son ver. Mais je ne comprends pas pourquoi elle a dit que j'avais bandé alors qu'il n'était pas encore coupé. C'est chouette quand elle me bande le doigt parce que je me suis fait mal. Si je suis malade, elle est tout de suite un peu gentille.

Quand je fais des bêtises, elle se fâche très fort, comme la fois où je suis sorti, et que je suis allé au bout du chemin. C'était il y a longtemps. Maman était tout énervée parce que la Richamillions avait prévenu qu'elle allait peut-être venir. Alors elle m'avait dit comme ça :

- Va pas falloir que tu viennes m'emmerder à me demander des trucs ou a faire des conneries hein ! T'as compris ?

J'ai fait oui avec la tête parce que ma bouche était pleine et que le jus de la pomme allait couler sur mon menton. Dans le potager, y'a des pommes qui poussent toutes seules. Des bien rouges qui font une couronne par terre autour des arbres quand le vent les a fait tomber. C'est joli. Après le potager, il y a une chemin qui revient vers les graviers de l'allée. C'est le chemin des indiens, quand ils veulent attaquer le campement sans qu'on les voit. J'avais joué à l'indien et je m'étais pas mal éloigné de la maison. Une famille de coyotes me poursuivait pour venger ceux que j'avais tués. Dans ma tête, la petite voix criait Youpii ! La vieille dame rigolait, et la grosse voix ne disait rien. On était bien. Les coyotes se rapprochaient ; mes amis les arbres s'étaient enfin décidés à m'aider en faisant un barrage pour les empêcher de me rattraper... C'est à ce moment-là que j'ai aperçu la grille de l'entrée. Au-dessus du portail, il y a des lettres en fer, un peu rouillées. Maintenant je sais ce qu’elles veulent dire : « L’albatros ». Je sais ce que c’est, un albatros. Moi aussi j’arriverai à décoller un de ces jours.

En vrai, elle n'est pas venue la Richamillions. Mais après le coup du portail, maman m’a interdit de remonter pendant toute une journée.

Sous terre, j’ai froid. Il fait presque noir, ça sent le moisi et il y a des drôles de bêtes avec plein de pattes qui se baladent autour de moi. Je m’allonge sur un matelas tout dégueu… et j’attends que maman ne soit plus en colère. Des fois, ça dure longtemps. Quand elle n’est plus fâchée après moi, elle soulève la trappe et elle m’appelle « Gaby, allez viens ! ». Le souterrain, c’était avant. Maintenant, elle m’envoie ici, au ciel tout là-haut. Mais ça, ce n’est pas une punition. Tant mieux parce que comme je grandis, j'ai vraiment pas beaucoup de place au souterrain.

 

 

.../... 

 

 

 

                                                

 

 

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L
<br /> Lecture impressionniste...<br /> <br /> ...mais quelle compassion ne peut-on pas éprouver pour l'enfant injustement puni! C'est d'autant plus pathétique que l'innocence brimée demande à être pardonnée de ce dont elle n'est aucunement<br /> responsable:<br /> <br /> ( - Pardon, Maman. Je le ferai plus. Pleure pas s'il te plaît.)<br /> <br /> Même la différence énorme, quant aux sensations et perceptions, qui sépare l'adulte de l'enfant est annihilée grâce à l'ingéniosité de la narration où se trouvent déployées une empathie et une<br /> introspection propres à nous faire saisir l'enfance dans toute son ingénuité.<br /> <br /> Enfin, j'ai beaucoup apprécié. C'est un travait artistement et artistiquement bien ficelé. C'est le moins que l'on puisse dire.<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> merci à toi, ami<br /> <br /> <br /> <br />
M
Moi aussi, comme soleildebrousse j'adore ce texte. Tu as un grand talent de narration.
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S
j'adore ce texte. Vraiment. Les personnages apparaissent, ils s'élèvent au fil des mots. C'st quelque chose de très prenant.<br /> merci.
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